“Quand la presse va trop loin… ou pas assez”

Lorsque j’ai décidé d’écrire un livre sur les journalistes, sur leurs pratiques surtout, j’ai été découragé par quelques éditeurs rencontrés. Ils étaient plutôt hostiles à cette idée?: “personne ne l’achètera car vous n’aurez pas de critique”. Erreur, j’en ai plutôt de bonnes pour le moment. Je ne voulais ni avoir l’air de quelqu’un donnant des leçons, ni d’un redresseur de torts. J’ai donc essayé de faire une analyse critique. Comme Talleyrand, je ne blâme ni n’approuve, je raconte. Ce qui m’intéresse surtout, c’est de montrer les pratiques du journalisme, plus particulièrement d’investigation, ses erreurs certes, mais aussi les choses positives que j’ai connues durant plus de 40 ans. Très concrètement, à l’aide d’exemples vécus, de ces choses qui m’ont heurté et de celles auxquelles on ne s’intéresse pas suffisamment. Dans les années 86 à 90, à l’Express, je publiais déjà des PV d’affaires judiciaires, même avant au Point, sur des tas d’affaires. Ensuite, après tant d’efforts de recherche, quand il y a un non-lieu, on s’interroge vraiment?: tout ça pour ça. On avait certes raison à l’instant T mais à l’instant U, on n’avait plus raison, puisqu’il y avait un non-lieu ou une relaxe. C’est ce qui s’est passé pour des tas d’affaires. Le problème?? Lorsque les journalistes d’un certain bord voient blanchi un homme politique opposé au leur et sur lequel ils ont tapé, ils considèrent que la justice est partisane, et inversement. Moi aussi, je me suis trompé, quand par exemple j’ai fait des papiers assez sévères sur Roland Dumas… qui a bénéficié d’une relaxe. Et d’autres sur Gérard Longuet qui dans trois affaires a aussi bénéficié de relaxes et de non-lieu. Il y a un véritable déphasage dans la recherche de la vérité?: avec d’une part le temps judiciaire et d’autre part ce temps médiatique qui va deux fois plus vite. Il faut quand même que les professionnels réfléchissent à un certain nombre de choses. Il y a quelques jours, un tweet de Médiapart annonçait une perquisition et une garde à vue de Pénélope Fillon. Cette affaire nous interpelle quand même?! Le Canard Enchaîné sort ses informations, je n’ai rien à dire… Nous ne sommes pas là pour enquêter sur l’enquête?! Même si nous assistons à une tragique imprudence, moralement pas terrible, de quelqu’un qui parle de morale et qui finalement aurait triché avec l’argent public. “Il y a quelques jours, un tweet de Médiapart annonçait une perquisition et une garde à vue de Pénélope Fillon. Cette affaire nous interpelle quand même?!” En 1999, dans l’affaire de la Mnef pour Dominique Strauss-Kahn, cela s’est soldé par une relaxe. Pour Gérard Longuet, c’était vraiment mal parti dans les affaires de la Cogedim puis cela se termine par un non-lieu. Roland Dumas, mal parti aussi dans les affaires, puis relaxe?! En outre, tous les journaux ont leurs jardins secrets. Comme me le racontait le rédacteur en en chef du Canard Enchaîné. Quand il a sorti le redressement fiscal de LVMH, 400?millions d’euros, aucun journal n’a voulu l’évoquer car c’est leur plus gros annonceur. Fort sportivement, il m’a dit?: “Sur l’affaire Dumas, nous n’avons pas été en flèche.” C’était plutôt honnête. Le Monde et Médiapart ont été en pointe dans l’affaire Bettencourt, ils ont publié des PV, rien à dire, c’est impeccable à l’instant T. Nicolas Sarkozy était dans une position plus que délicate, témoin assisté puis mis en examen. Alors l’opinion publique à un moment donné se dit?: “Il est coupable?!”. Puis, finalement, il y a un non-lieu. Les gens ne comprennent pas que cela fait partie du jeu normal de l’information judiciaire. Pourtant il y a pas mal de leçon à tirer de cette affaire. Premier acte, les journaux foncent sur l’abus de faiblesse et le financement de la campagne de Sarkozy. Puis arrive une seconde affaire avec la plainte de François-Marie Banier contre la comptable. Or dans cette affaire, instruite par le juge Le Loire à Paris, on découvre que la comptable a menti. Qu’elle a été achetée par la fille de Madame Bettencourt, mise en examen pour subornation de témoin, et elle pour attestation mensongère et faux témoignage. Elle avait dit que Madame Bettencourt lui avait offert l’appartement, ce qui n’est pas vrai car elle a fait toute une manœuvre pour l’obtenir grâce à un notaire. Concernant les donations faites à François-Marie Banier, elle affirmait que ces dernières avaient été faites en 2006, en profitant d’un état de faiblesse et donc en abusant de cette vieille dame. Or, on découvre que cette donation a été faite alors qu’elle était parfaitement saine d’esprit, et donc que cette comptable a menti. Si elle a menti pour François-Marie Banier, pourquoi n’aurait-elle pas menti sur Nicolas Sarkozy?? Or en flèche sur la première, ‘Le Monde’ et ‘Médiapart’ ont été plus que discrets sur les conséquences de cette seconde affaire.